samedi 13 décembre 2014

Grandir ou aigrir?


Dix huit mois après ma paralysie faciale, mon visage a repris forme mais pas sens. Le côté moteur remarche mais le côté sensoriel ne récupére pas du tout à la vitesse du moteur.

À noter que le nerf facial est l'un des rares nerfs en son genre puisqu'il est autant moteur que sensoriel. Après un quatrième électromyogramme facial (le seul instrument qui permet d'étudier un nerf facial et ses fonctionnements), le neurologue a conclu qu'il n'y aurait plus de progression et me l'a dit de but en blanc. Je suis tombée des nues. J'ai failli me prendre le chou avec lui. Pour conclure, il m'a dit:

- Je ne peux rien faire de plus, tu entres maintenant dans le domaine de la douleur chronique...
- Pardon?
- Il te faut maintenant entrer à la clinique de la douleur, ce sont les seuls à pouvoir faire un suivi, je ne peux plus rien faire pour toi!

Et de me fermer la porte au nez! Fuck! C'est quoi çâ la douleur chronique?!? De quoi il parle?!?

Sachant l'attente de rigueur pour entrer à une telle clinique, je me suis tournée vers les groupes d'entraide à l'hôpital afin de prendre mon mal en patience.

Lorsque j'ai commencé à assister aux groupes de l'association de la douleur chronique, j'ai fait la découverte d'un nouveau monde. Près de deux ans plus tard, je sais que c'est une société secrète...

La première année m'a permise de comprendre que je n'étais pas seule avec cet ennui de santé particulier. Une douleur continue qui s' installe. Les divers vécus partagés ont étendu mes perspectives et horizons. Les conférences offertes par l'association ont enrichi mes connaissances.

Le temps que la clinique m'ouvre sa porte j'avais déjà fait un bon bout de chemin "on my own". Si ce n'est des longues attentes du système de santé, je ne peux me plaindre de mon suivi médical humain, les multiples docteurs, spécialistes et experts m'ont tous aidés, à leur façon, à mieux comprendre ce qui arrivait à mon corps. J'ai découvert avec eux une compréhension qui a aidé à approfondir la mienne.

Maintenant je comprends. Je ne sais pas si j'accepte et j'accueille mais je sais que je comprends. Putain d'herpès, putain de nerf facial, putain de corps, putain de vie, il devient alors facile de tomber dans les putains à répétition. Mais cela ne mène nulle part ailleurs qu'à l'aigreur et l'amertume...

Maintenant je vais aux groupes et conférences avec une compréhension qui change mes perceptions. Y'a pas que le LSD pour ouvrir les portes des perceptions humaines, y'a aussi les problèmes de santé! Ceci n'est pas mon premier rodéo.

Mes perceptions ont été pour la première fois altérées l'année de mes douze ans avec un traumatisme crânien, un hématome au cerveau, des cervicales fêlées et une duremère blessée. Comprendre que les séquelles de cet accident d'antan se sont conjuguées avec l'attaque virale du nerf facial pour créer des complications hors normes me fait exploser quelques neurones.

Trouver des outils pour se reconstruire en une autre réalité

Je sais que je dois continuer d'aller aux conférences et groupes de discussion pour ne pas m'exploser la face en un accès de frustration. Cela ne me réjouit point. Cela me brusque le mental.

En cet effort vital à chercher le lotus dans un étang de marde, je me dis qu'au moins ce sont des moments où je peux m'y sentir jeune, sachant que la moyenne d'âge des participants y est relativement élevée. Dans la tempête, on se console avec les moyens du bord...

La douleur c'est comme un signal d'alarme pour le corps. Lorsque le signal d'alarme refuse d'arrêter de sonner, il se transforme en une tempête physique qui bouscule l'être de l'intérieur. En cette tempête, il faut alors trouver les meilleurs chemins sur lesquels avancer...

Par curiosité, j'ai calculé le nombre de jours et d'heures depuis que je vis avec une moitié de face déchiquetée. Depuis que ce signal d'alarme ci sonne en continu. Depuis plus de 1 400 jours et 18 000 heures éveillées, sans répit, mon nerf facial se manifeste en diverses sensations douloureuses. Sans autre pause que celle du sommeil. Et encore... parfois même quand je rêve je perçois l'inconfort de la douleur. De quoi en avoir plein son casque!

Malgré les pilules jamais magiques, malgré les manipulations crâniennes en tout genre, malgré les innombrables apprentissages et réflexions, ses lésions font la loi. De quoi se retourner les émotions. 18 000 heures pour renforcer le caractère, 1 400 jours à supporter une douleur inimaginable pour 98% des gens. Et ne pas savoir s' il y aura une fin, autre que la mort, à cette étrange condition. De quoi transformer le cours de sa cervelle...

Une condition que personne ne voit lorsque je sors publiquement. Cachée sous ma peau et mes efforts pour y survivre. Une condition qui dérange. Dont personne ne veut vraiment entendre parler. Trop compliquée à comprendre.

Alors, quand je croise les gens au réel, je souris et je ferme ma gueule. Je me force à me mettre au niveau de ceux qui ne connaissent que la douleur passagère. Celle qui s'efface. Je me tais. Sauf ici et là, où j'écris ces mots qui la dévoilent.

Apprendre à vivre avec l'inimaginable...

Le 6 février 2015, à moins d'un miracle de science fiction, cela fera 4 ans que la douleur faciale me réveille, indomptable, puissante, méchante. Plus de 1400 matins et des poussières. J'ai dépassé le millième matin il y a déjà un bout et à l'idée du 1500ième jour de suite, je manque de vouloir m'exploser la raison. Je n'ai pas de revolver. C'est pour le mieux.

 Mais je réalise que je suis à une croisée de chemins. Il n'y a pas mille voies à suivre, il y a grandir et il y a aigrir. Aigrir est plus facile sur le court terme mais pas cool à long terme. Grandir n'est pas facile sur le court terme mais pas mal plus cool sur le long terme.

The only way out says my heart taking the child to raise in this balance of life. The other way is death says my mind on the side. 

Grandir via la parentitude ne me pose aucun problème, aucun dilemme, j'aime le concept. Mais grandir, forcée par cette situation de merde me frustre profondément, j'en haïs le principe. Une frustration qui ne peut qu'accentuer ce problème de nerf facial disjoncté!

Mais plutôt me pendre que d'aigrir! Plutôt lâcher prise avec la vie que de baisser les bras au quotidien. Je refuse d'aigrir même s'il est bien rude de grandir. La douleur est un putain de professeur. On le déteste tous pour ses méthodes de torture mais parait que c'est efficace. J'ai l'impression d'être en une école militaire qui ressemble plus à une prison qu'autre chose.

Le psy me parle de ces principes confus que sont ceux d'accepter et d'accueillir une condition de douleur chronique. Malgré moi, mais à force de m'y pencher, je commence à en percevoir la raison. Terriblement dur de ne pas envier ceux dont le corps ne passe pas son temps à les trahir...

Grandir ou aigrir? Puisqu'il faut choisir, ma foi, je n'ai pas le choix. Grandir. Et si je n'y arrive pas alors autant mourir...


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