mardi 25 novembre 2014

Apprendre à vivre avec = apprendre à fonctionner autrement...


Depuis ma paralysie faciale, j'ai rencontré une trollée de médecins. Chacun m'a dit:

- Bon je vais te faire un arrêt de travail pour... 
- Je suis pigiste. Ai répondu à chaque fois. 
- Ah! 
- Ah! 

Ainsi s'arrête cette conversation. Au final cela m'aura pris plus trois ans pour trouver le courage de m'arrêter. Un burn out et une dépression contextuelle comme disent les spécialistes n'auront pas suffit. J'ai ralenti certes. Ralentie mais pas arrêtée. Arrêter ne veut-il pas dire mourir en langage de pige? Quand t'es pigiste t'arrêtes pas, tu marches ou tu crèves! S'arrêter c'est plonger dans le vide. Sans filet.

Cela aura pris une ronde de physiothérapie intensive pour m'arrêter. Usée. Vidée. Morte? Impossible de travailler en se faisant triturer le mal un jour sur deux. Depuis un petit mois j'ai repris un rythme d'une à deux fois semaine de physio/kiné. Arrêtée, j'ai réalisé combien j'étais vidée. Arrêtée, j'ai pu faire face à cet invisible mal qui se fout de ma gueule.

En l'affrontant j'ai compris que pour continuer à piger il faudrait que je réapprenne à fonctionner. Autrement. Que cela faisait partie de cette réalité d'apprendre à vivre avec cette douleur faciale. Le "pacing" est la clé parait-il. La gestion des activités. Apprendre à travailler fragmentée. Afin d'éviter l'accentuation de la douleur de fond. Afin d'en contrer la peur qui se développe à la vivre. Afin de diminuer les complications diverses comme celle de la névralgie oculaire.

Ces ricochets douloureux de nerf facial blessé qui ont le pouvoir de se répercuter tout le long de son trajet. Le "pacing" signifie que l'on doit apprendre à fonctionner différemment. Histoire de tenir le coup de l'épreuve sur une durée indéterminée.

Lorsque l'on est habitué à travailler par jets par exemple, c'est un principe extrêmement frustrant. Le psy me dit

- Tu as plein de façons de remplir un bain. Tu peux le remplir d'un coup en laissant ouvert le robinet. Mais tu peux aussi le remplir en ouvrant et en fermant le robinet. Même goutte à goutte, il se remplit...
- Ouais...

Arrêtée pour la première fois, je perçois ce repos de fond prescrit par les médecins. Celui là aide sûrement à une régénération de fond. Physiquement. Mentalement c'est une autre paire de manches. Ma kiné, qui me triture la face depuis la première semaine de l'aventure, croit que mon nerf finira par guérir. Un jour. Elle m'explique qu'elle peut en percevoir la progression. Une lente progression qui progresse lentement. Au compte goutte?

Je ne compte plus le nombre de professionnels qui ont voulu m'expliquer ce principe confus que le nerf peut se régénérer mais que c'est très long. Très très très long. Le virus a causé bien des dommages sur son passage. Ouais. Je commence à bien comprendre merci. Dans la foulée on m'explique que c'est pour cela qu'il faut continuer les traitements de physiothérapie et autres soins complémentaires. Ne pas lâcher.

Les traitements entretiennent la mécanique du nerf. Et mieux la mécanique est entretenue, plus de chance le nerf a de récupérer, de se réparer. Encore faut-il qu'il ne se répare pas trop croche. Autre obstacle sur le chemin de la récupération. Parfois le nerf se répare mais forme des connections aberrantes De celles qui font se relever un coin de lèvre en fronçant un sourcil. Ces connections interfèrent ensuite dans le bon fonctionnement du nerf. Elles peuvent aussi créer de douloureux dysfonctionnements mécaniques qu'il faut continuellement réajuster.

J'en parle aux spécialistes qui me disent que tant que l'entretien de fond est maintenu, toutes les chances d'améliorations persistent. Au fil du temps, le cerveau peut aussi s'ajuster à ces nouvelles connections. Fun! Mutations de cervelle en cours.

Mais au final, l'ironie de la chose, c'est qu'après avoir bien expliqué et compris tout cela, la doc en chef me dit:

- Malheureusement nous n'avons pas les ressources pour traiter la source. Juste des médicaments pour essayer de cacher les symptômes... 
- Mais n'est-ce pas ridicule de vouloir cacher les symptômes d'un mal qui obligatoirement empirera si non traité au niveau mécanique? 
- Si. Et c'est pour cela qu'on ne peut t'obliger à prendre ces médicaments mais malheureusement nous n'avons pas les ressources pour te donner les soins qui traiteront la mécanique de ton cas. Nous pouvons juste en soulager les symptômes. Mais évidement je t'encourage à continuer tes traitements de kiné et physio car on voit bien que cela fonctionne. Les résultats des trois derniers mois prouvent même que le nerf réagit bien aux traitements et c'est vraiment bon signe. 
- Mais les traitements sont à mes frais...
 - Je suis désolée. Je peux rien faire de plus. On a tellement de coupures à l'hôpital qu'on ne sait même pas combien de temps tiendra la clinique. 
- Je comprends. 
- Mais on est toujours là pour faire le suivi de tes traitements et pour réévaluer ta médication. 

Plus de deux ans d'attente pour entrer à cette clinique. Trois mois de traitements alloués. Et des pilules à volonté. Bienvenue en Amérique du Nord! Ajoute pigiste à l'équation et c'est la cerise sur le gâteau.

Mais le pire, c'est que c'est tellement mieux qu'ailleurs. Mieux que dans bien des pays sur Terre. Assez mieux pour en accepter la réalité? Pour ne pas trop s' en plaindre. C'est tellement pire ailleurs...

En cette nouvelle réalité, alors que j'apprivoise ce putain de "pacing". Je m'apprête à reprendre le turbin, mon ordi décide de faire grève. Il plante, fait des écrans bleus à répétition, assassine mes patiences.

Après auscultation voilà que son mal est logiciel non matériel. Réaliser qu'en fait, il peut y avoir plein de cerises sur un seul gâteau! Première étape, réparer l'ordi...

jeudi 13 novembre 2014

Matin après matin...

Chaque matin, je me réveille avec la douleur faciale ou elle me réveille. Selon l'heure de ma dernière prise d'opiacés. Inlassablement. Chaque $#&*$/% de matin, je dois trouver un moyen de m'entendre avec elle pour trouver le courage d'avancer. Et surtout pour ne pas penser que cela pourrait être ainsi pour le reste de ma vie!

 Depuis bientôt 4 ans, chaque matin est une épreuve silencieuse. Une épreuve plus douce depuis que l'homme accompagne mes aubes. Déjeuner ensemble. Prendre mes medocs. Méditer. Me sentir moins seule dans l'épreuve. Affronter. Puis l'enfant se lève et la routine du jour embarque...

Chaque matin le même défi. Celui de surmonter les innombrables sensations douloureuses que générera mon nerf facial. De la subtile rage de dents à la névralgie occulaire. En passant par les multiples tiraillements, crispations, pulsions et engourdissements de cette moitié de visage endommagée.

Ce nerf blessé, aussi moteur que sensoriel, possède une incroyable variété de manifestations douloureuses. Si ce n'était pas une torture qu'il en découle, je pourrais en écrire un véritable roman d'horreur. En une dimension parallèle...

Avec ces sensations douloureuses viennent aussi les émotions qu'il faut contrôler. Chaque matin le même défi. Celui de contrôler les pensées générées par la douleur physique. Nul doute que la méditation aide à gérer ce côté du mal.

Publiquement, si je n'en exprime pas la chose, c'est une épreuve inexistante. Invisible. C'est troublant. Troublant de savoir qu'il suffit que je souris, que je parle de ces choses que tout le monde comprend, que je surmonte la douleur pour que personne ne se rende compte de rien.

En soi mieux vaut ça que d'être défigurée. Que d'avoir l'air d'un cauchemar ambulant. Cela me permet de passer inaperçue. Malgré toutes ces sensations qui me cisaillent le visage. Cela me permet d'évoluer en société en toute impunité. Et en même temps cela m'éloigne des autres intérieurement. Car les autres préfèrent ne rien savoir. Majoritairement. Tant que je souris et que je gère. Tout va pour le mieux. Ainsi va la vie.

Cela me trouble. Je comprends que c'est une condition exceptionnelle. Que beaucoup ne savent quoi dire. Que cela se situe dans l'inimaginable collectif. Je comprends. Et cela m'attriste.

Alors pour contrer la tristesse mentale, pour supporter cette douleur physique, et y survivre, je me console entre deux tournesols. En une bouffée de lac, en l'amour de l'homme et de l'enfant, en l'amitié qui réchauffe nos humanités. J'attrape cet invisible filet à papillons qui me permet d'accrocher quelques inspirations. Et je sais que derrière la faiblesse physique réside une force intérieure. Une force que je perçois comme jamais auparavant.

Je grimace, parfois je résiste, parfois je frustre, parfois je tombe. Mais toujours je me relève. Et à chaque fois que je me relève, je comprends mieux ce fameux dicton qui affirme que tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort...