samedi 11 janvier 2014

Une p'tite pilule avec ça?

Chaque matin, si je ne me suis pas réveillée au cœur de la nuit pour avaler un anti-douleur, je sens mon trijumeau se réveiller avec moi.

Cela prend une grosse demi-heure pour que la douleur émerge. Elle commence à monter par la pommette puis elle se répand rapidement dans l'œil qu'elle irradie avant de l'étirer de l'intérieur. Ensuite elle va chatouiller la narine qu'elle raidit.

Elle va dire bonjour aux lèvres et j'en perçois les spasmes invisibles. Une fois installée elle vient ciller ma gencive et enserre la moitié de mon visage. Puis elle se dirige droit vers la tempe et le cerveau, en passant par l'oreille...

Parfois je la sens titiller mes terminaisons nerveuses, d'autres fois j'ai l'impression qu'elle me triture la face à l'interne. Si je la laisse aller  je sais qu'elle finira par me déchiqueter le nerf facial pour m'entraîner en son enfer physique.

Chaque matin je sais que je vais devoir avaler ces petites pilules qui la contrôle. En ajuster les doses. Certains matins je résiste plus que d'autres. Ces matins là elle m'énerve et je voudrais tout simplement l'ignorer. Les matins butés je la laisse monter et j'embarque en un inutile duel où elle a toujours le dessus...

L'année dernière j'ai appris et assimilé le concept d'avaler les pilules avant que la douleur, féroce, ne m'entraîne en son sillon de souffrances faciales. Apprendre qu'il faut avaler la petite pilule blanche avant que ne règne la douleur chronique. Ne pas attendre qu'elle coure librement dans les multiples branches de mon nerf. Apprendre, accepter, se plier...

En ces leçons d'apprentissages humains, il y a la chimie moderne qui nous permet d'y survivre. Car les petites pilules ne sont pas magiques. À chaque pilule ses effets secondaires. J'haïs ce principe. C'est sûrement ce qui me rend réfractaire aux médicaments. Comme me l'a reproché le neurologue et comme le comprend mon docteur de famille, si doux avec moi. 

Avec sa barbe blanche et son regard bienveillant, je pourrais presque le prendre pour le Père-Noël. Je l'aime. Il m'aide à apprivoiser cette affliction physique. Il m'écoute et ses conseils sont toujours justes. Il respecte mes élans réfractaires. Ensemble l'on cherche les bonnes pilules et les bonnes doses...

Depuis le début de ma paralysie faciale je suis sur l'Oxy. La fameuse dope qui fait baver d'envie certains junkies. C'est le narcotique avec lequel j'ai le moins d'effets secondaires. Celui avec qui je fonctionne le mieux. C'est pas le paradis mais au moins c'est pas l'enfer. C'est comme la vie sur Terre. 

Je réalise dans la foulée que je développe une philosophie personnelle qui me fait me sous-medicamenter et ainsi va ma vie. Accompagnée de cette douleur qui ne me lâche que lorsque je dors.

Au début de l'année dernière, j'ai réalisé que ma dose habituelle d'Oxycotin ne faisait plus. Les effets secondaires devenaient trop intenses. Vomissements, migraines infernales. Il y avait quelque chose qui ne tournait plus rond. Alors j'ai réalisé que l'Oxycotin s'appelait maintenant Oxyneo

Ainsi j'ai appris que pour des raisons d'abus de junkies, les fabricants en avaient changé le substrat et que c'était supposé être la même pilule même si ce n'était plus la même pilule. J'étais verte. Comme si cela allait empêcher les junkies de se doper!!! 

Et en attendant cela empêche beaucoup d'entre nous d'être soulagés correctement. J'ai essayé d'autres pilules et aucune ne m'a convenue. Je me suis retrouvée sur l'Oxy à courte durée. À devoir avaler des pilules aux quatre heures pour n'être que modérément soulagée durant deux heures. Bonjour la douleur! 

Mon meilleur cocktail pour soulager la douleur à date est Oxy et Prednisone. Mais qui connait les effets secondaires pernicieux de la cortisone comprendra que c'est un cocktail que je ne peux prendre que trois ou quatre fois par mois. Histoire de m'octroyer une journée de répit tout en limitant les dégâts causés par cette autre pilule blanche. Et je ne parlerai même pas de cette pilule à part qui sert à balancer les effets indésirables de l'Oxy...

Sur Internet j'ai lu les mêmes plaintes que celles qui mijotaient en mon esprit. Au groupes d'entraides auxquels je participe j'ai entendu des mêmes histoires que la mienne. L'Oxyneo c'est de la merde! Avec la pharmacienne j'ai eu des discussions sur le sujet. Elles m'a conté combien je n'étais pas la seule en cette situation. Et encore j'ai senti fomenté la révolte en mes neurones.

Si certains abusent de ces petites pilules, plusieurs en ont besoin pour fonctionner normalement. Tout simplement. Pour contrôler cette douleur physique, invisible, qui tue à petit feu. Je défie quiconque de se faire déchiqueter la face jour après jour et de ne pas voir le bienfait d'un narcotique facile à gérer!

Vivre une douleur neuropathique au quotidien c'est vivre avec une puissante compagne qui n'a de cesse que de vous torturer les jours. 

Je n'ai jamais écrasé, croqué ni sniffé ma pilule, je ne me l'injecte pas. Je me soigne en l'avalant sagement. Et ainsi je peux contribuer à la société. Il fut une époque pas si lointaine où ces petites pilules n'existaient pas et où les gens victimes d'une douleur comme la mienne se suicidaient à foison. On appelait ce type douleur, la douleur du suicide. Ce que je peux parfaitement comprendre. Combien d'années peut-on tolérer l'intolérable avant de craquer? 

Bref, cette façon de pénaliser ceux qui souffrent pour essayer d'enrayer certaines dérives humaines me fâche. Il faudrait peut-être crier aussi fort sur les toits que prendre des narcotiques quand on souffre de douleurs incessantes ne provoque pas de dépendance. Qu'il y a bien peu de membres du clan de la douleur chronique qui en abusent! 

Et pendant que j'écris ces mots monte ma douleur. Je n'ai pas encore pris ma petite pilule blanche...