vendredi 12 décembre 2014

Discuter avec la grande faucheuse...

L'une des perceptions erronées que l'on a de la douleur chronique est qu'elle n'est pas mortelle.

C'est vrai et faux à la fois. La douleur en soi ne tue pas, c'est vrai. Mais je défie quiconque de vivre une douleur constante, prolongée sur des années, sans avoir de conversation avec la mort qui rôde.

Ai d'ailleurs eu une intéressante conversation avec une de mes physios. Un mini pétage de coche sympathique mais nécessaire. Non la douleur en soi ne tue pas mais elle est mortelle pareille...

Chacune de mes physios me dit à chaque fois:

- Tu me dis si cela fait trop mal et j'arrête... 

Et à chaque fois je lui réponds

- Il est impossible que tu me fasses plus mal que ce que j'ai pu vivre ces trois dernières années. Vas-y assez fort pour que cela ait une chance d'arrêter. Je sais pas combien d'années je peux tenir si cela ne change pas... 

Je sais maintenant que la douleur ne tue pas physiquement. Je sais maintenant qu'accoucher c'est du pipi de chat. La douleur physique ne tue pas le corps. Elle tue émotionnellement.

Assez pour que tu te transformes en zombie ou que tu entendes murmurer la mort qui tourne autour de la douleur intense comme un vautour tourne autour d'un animal mourant.

- Allez, suis-moi. Tu seras libérée. Je peux te sauver. 
- Quand même radical comme solution tu avoueras... 
- Je dirais plutôt efficace. N'as-tu pas mal à mourrir? 
- Si... 
- Alors suis-moi. J'effacerai la douleur, je te libérerai. Tu sais que ce n'est pas la fin, juste une évolution d'existence. Tu n'as pas à avoir peur.
 - J'ai pas peur. J'ai plus peur de la douleur que de toi. 
- Alors suis-moi, tu veux que je te donne des trucs faciles pour que cela ne soit pas trop compliqué? 
- Ben ça va. Je peux encore utiliser ma tête même si c'est un brasier de douleurs. En tout cas, encore pour savoir comment faire ça facilement, merci. 
- Alors suis-moi. Viens te rappeler ce que c'est que d'exister sans souffrir. 
- Non, je peux pas. C'est pas que je veux pas, c'est que je peux pas. 
- Si tu veux, tu peux... 
- Non, je peux pas. On en a déjà parlé quand tu es venue avec la septicémie. Je suis mère maintenant. Abandonner l'enfant que j'ai mis au monde n'est pas dans mes valeurs spirituelles. Tu le sais puisque tu me connais si bien. J'ai trop souffert et compris de choses sur l'abandon parental en cette vie. C'est un cycle que je ne peux pas reproduire. Trop mauvais move pour mon karma. Il faudra me tuer autrement que par mes mains. 
- Mais quelle mère es-tu à souffrir ainsi? Certainement pas la mère que tu veux être. 
- Non, c'est vrai, je suis une mère diminuée mais pas absente. Et même si diminuée, je suis pas mal plus présente que beaucoup tu sauras! Et là tu me fatigues! Lâche moi, je viendrais pas avec toi aujourd'hui aussi mal le nerf facial me fera... 

En vérité, j'ai commencé le processus d'aller aux groupes d'entraide de l'hôpital lorsque ce type de conversations silencieuses est devenu trop fréquent à mon goût. J'avais besoin d'aller en un endroit où le suicide n'est pas tabou. Et comme je m'y attendais, ce fut en effet un endroit où parler de la mort sans que personne ne s' en offusque.

Car toutes les personnes présentes ont elles aussi discuté avec la mort au cours de crises infernales de douleurs. J'y ai trouvé le soulagement et la compréhension que j'y recherchais. Et je suis rendue frustrée que l'on ose jamais parler du suicide comme une conséquence de la douleur chronique. C'est pourtant son côté mortel. Tabarnak! Elle tue en silence.

Tout comme elle sévit. Alors qu'on ne vienne plus jamais me dire que la douleur chronique n'est pas mortelle où je risque de péter une petite coche. Et rappelons que l'on ne laisse pas souffrir les animaux...

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