Depuis que j'ai ouvert ce blogue et que je laisser couler ces mots que je retenais prisonniers, mon attitude envers la douleur chronique évolue.
Je travaille à l'accepter. Je suis capable d'en parler et de l'incorporer à cette nouvelle identité qu'elle forme en ma peau.
Aller aux groupes d'entraide de l'association québécoise de la douleur chronique m'aident aussi beaucoup. Briser l'isolement. Peut-être est-ce là le premier pas à faire.
Alors que j'écris ces mots, le quart de mon visage (la région de l’œil et de la tempe) me semble englué dans du ciment. En plus d'être désagréable, c'est étonnement douloureux. Comme un étau qui enserre les sens. Un quart de visage fait de la bouillie. J'ai quelques épines qui me piquent un coté de la cervelle et l'autre quart de visage (joue et bouche) est étiré par l'incroyable sensation de raideur qui en cimente son jumeau. Côté droit de mon visage, tout est beau. D'un côté, je me sens normale. De l'autre, c'est la pagaille.
Pour l’œil extérieur qui croiserait ma face en ce moment précis, il n'y aurait rien à déclarer, si ce n'est ma mauvaise mine et mon air mécontent. L’œil averti pourrait peut-être remarquer une minime asymétrie. Mais il suffirait juste que je trouve le courage d'un sourire pour passer inaperçue.
Avec l'expérience des années qui passent, je sais désormais que la douleur aiguë n'est pas permanente. Juste celle de fond. La douleur aiguë et la douleur de fond sont deux entités différentes. L'une paralyse, l'autre laisse son hôte fonctionner. L'une est question d'heures, l'autre est question de vie.
Lorsque la douleur de fond devient aiguë, il n'y a plus grand chose à faire. Il arrive un point où la douleur se libère de sa prison médicamentée et fait la fête. Elle me fait ma fête. Dans ces moments là, je choisis de ne pas monter mes doses d’opiacés pour ne pas en supporter les effets secondaires. La glace et le repos sont la seule solution. Désormais j'associe repos avec torture et je commence à en détester le mot.
Lorsque la douleur aiguë m'attaque. Je ne lui résiste plus. Avec de la glace sur la peau. Je deviens foetus et j'attends. Patiemment. Je sais qu'elle passera. Comme une vague sur l'océan. C'est juste une question de temps. Le repos l'avalera.
L'impression d'avoir un quart de visage cimenté n'est malheureusement qu'une sensation parmi tant d'autres. Toutes aussi énervantes les unes que les autres. Certaines plus violentes que d'autres. Ma douleur faciale chronique est en fait une myriade de sensations douloureuses. Sans parler des migraines ou de l'hypersensibilité à la lumière et au bruit. Ou encore des émotions qui en découlent comme l'irritabilité et l'impatience.
D'une échelle à un océan...
Sur l'échelle de ma douleur, présentement, je frôle le sept. Mais c'est en progression. Cela diminue. Je reviens d'un huit et demi. D'ici une douzaine d'heures à surfer la vague, je devrais retrouver mon rythme de croisière. Entre trois et cinq.
À partir de six, je sais que je joue avec le feu. En ce bras de fer que je joue avec mon trijumeau, je faiblis. Rendue à sept, je dois entrer au cloître. Je ne fais que souffrir. Si je suis bien lunée, cela peut devenir une prière à la vie, une méditation personnelle. La moitié de mon visage est une apocalypse qui se joue en direct sous ma peau. Je trucide des Zombies. I'm Michonne, black and fierce...
Si je monte à neuf alors là c'est le paroxysme. À neuf, c'est la cata, je ne suis plus qu'une loque qui dérive dans l'océan. Une loque humaine qui dérive au fil des vagues qui la portent. Le pire dépasse le dix. Le pire c'est le onze. Le pire, c'est une souffrance innommable, c'est la mort qui rôde. Ricanante. Enjôlante. Presque charmante.
Entre trois et cinq ma douleur est un lac. À partir de six et demi, c'est une tempête qui se lève sur l'océan.
J'ai maintenant l'habitude de traverser quelques tempêtes mensuellement. Si je veux vraiment "vivre", je ne peux éviter les tempêtes. C'est impossible.
Éviter toutes les tempêtes ce n'est plus vivre, c'est se reposer à l'infini, c'est mourir à petit feu. Terrassée par l'ennui. C'est se décomposer intérieurement. Mais tant que j'arrive à garder en main le gouvernail de mon bateau, je peux traverser une tempête. J'ai confiance. Il est solide. Même pas peur de couler! Je vogue...
Je deviens capitaine de navire. À l'aventure. Ceci dit, entre sept et huit, l'océan peut devenir violent. Passé huit, il est difficile de rester sur le pont sans se faire emporter par les eaux. Rendu là, je me réfugie en ma cabine intérieure. À dix, le bateau fait naufrage.
Mais la beauté de la chose, c'est qu'à chaque naufrage, la loque que je suis finit par échouer sur une plage. Et tout comme l'équipage qui échoua aux Bermudes au début du 17ième siècle, je me relève. J'hume l'air du temps. Et je sais qu'il me faut reconstruire un navire pour reprendre les eaux et retrouver la civilisation.
Affronter les tempêtes...
Au cœur de la nuit rythmée par les respirations et ronflements de ma famille endormie, je suis sur le pont. Je viens de traverser une petite tempête.
Apres deux grosses semaines à vivre sans trop me reposer et l'impossibilité d'aller chez ma kiné cette semaine, je savais que le ciel se couvrait et que le vent se levait. J'étais prête. Ça tombait bien c'était vendredi soir. Demain, samedi, je pourrais prendre le temps de réparer les dommages.
Lundi matin, je commencerai ma semaine par aller mettre ma face entre les mains d'Elaine pour me remettre la mâchoire en place. Ses manipulations crâniennes permettront à mon visage de se rééquilibrer, les opioïdes feront effet, je serai presque comme neuve.
Bientôt le jour se lèvera. Il faudra juste garder le cap. Ne pas pousser la machine. Se reposer. Recoudre quelques trous dans les voiles et reprendre la mer. Jusqu'à la prochaine tempête.
Mais si l'on survit bien aux conditions météorologiques qui font nos quotidiens canadiens, je devrais bien pouvoir m'adapter aux conditions de la douleur chronique en ma face. Il le faut. Je n'ai pas le choix. Ma responsabilité maternelle fait que je ne peux abandonner mon navire. Et même plus, je dois le reconstruire à chaque naufrage, pour mieux reprendre la "mère".
Et au fil du temps du passe, je réalise que le côté positif de la douleur chronique se situe en ses apprentissages humains. À confronter ses faiblesses on découvre ses forces...
Je te souhaite Sandra une année 2014 d'amélioration au niveau de ta santé. Que ces douleurs disparaissent à jamais. Pourquoi pas? Il faut garder espoir. Tu es forte et positive et la science évolue si vite.
RépondreSupprimerAussi beaucoup de plaisirs au quotidien avec ta famille et de beaux voyages. Des baumes pour contrer les souffrances.
Santé, clarté, zénitude et chaleur humaine.
Xxx Hélène